Muscler son insula
Et si la fatigue n’était pas un état physiologique mesurable, « the end point », occasionné par l’épuisement des réserves en glycogène, une acidité musculaire trop importante, une incapacité à délivrer suffisamment d’O2….
ET si la fatigue était une émotion permettant de moduler de façon consciente l’intensité de l’effort.
Dans cette approche, les limites physiologiques ne seraient jamais véritablement atteintes mais un entrainement mental judicieux pourrait permettre de s’en approcher…
Et il faut bien avouer que de multiples facteurs peuvent influer sur la perception de l’effort et son seuil maximal de tolérance : motivation, fatigue intellectuelle, stress, intimidation, gain d’argent, encouragement, musique…
Ces facteurs augmentent la performance sans pour autant jouer sur les qualités physiques. Ils ne font que moduler la perception de l’effort…augmenter ou abaisser le seuil de tolérance…
Le sport d’endurance prend dans un tel cadre une nouvelle dimension. Il devient un formidable challenge psychologique.
Prêt à relever le défi psychologique, au plus proche de ses limites physiques...
De la contorsion sémantique sans application concrète ? Des théories un peu faciles qui ne peuvent être démontrées ? De la “pensée magique de Gourou !”
Beaucoup de physiologistes obsédés par leurs données chiffrées, leurs paramètres objectifs et mesurables, restent réfractaires à cette approche.
Le modèle biopsychologique du physiologiste Italien Marcora donne pourtant de plus en plus de crédibilité à cette thèse et les nouvelles techniques d’imageries médicales permettent de mieux comprendre l’implication du cerveau au cours d’un effort.
Que nous apprennent ces nouvelles techniques ? Quelles stratégies d’entraînement innovantes et concrètes en découlent ? Comment repousser ses limites psychologiques, sa tolérance à l’effort ?
Une intensité d’effort dépendante de nos émotions
Anna Wittekind de l’université d’Essex effectua en 2009 une expérience en apparence fort simple mais très instructive dont les résultats furent publiés dans le journal of sports medicine.
Elle demanda à des athlètes de pédaler le plus vite possible pendant 15, puis 30, puis 45 secondes, à des occasions différentes.
Anna Wittekind fit le constat que durant les 15 premières secondes du test de 45 secondes, la puissance développée était systématiquement inférieure au test de 15 secondes.
Ainsi, malgré les instructions (pédaler au maximum de leur capacité dès le début de l’effort ), ces individus ont inconsciemment adopté un rythme inférieur, comme si le cerveau avait intégré que la durée d’effort programmée (45s) ne pouvait se réaliser “à fond”, sans excéder le seuil maximal tolérance.
Un 400 mètres ne peut être effectué à fond! Il faut adopter le rythme optimal sans franchir le seuil de tolérance. Floria Guei n'a pas triché ce jour là !
Pour votre voiture, il vous est possible de connaître précisément le nombre de kilomètres qu’il vous reste à parcourir avant la panne d’essence.
Mais pour un athlète, le choix du rythme adopté ne peut dépendre d’un nombre. Oui ! Si la fatigue est une émotion alors celle-ci peut être sujette à interprétation. Vous ne pouvez réellement savoir si vous avez utilisé tout le carburant à votre disposition. Vous ne pouvez savoir si vous aviez encore la possibilité de continuer quelques mètres ou aller encore plus vite.
Le challenge consiste donc à adopter le rythme le plus rapide permettant d’atteindre la ligne d’arrivée, sans pour autant excéder le seuil de tolérance à partir duquel l’individu considère qu’il ne peut aller plus loin.
Le challenge consiste donc à lire au mieux ses émotions.
Mais quelle zone du cerveau serait capable d’évaluer à quel moment l’effort est trop coûteux ?
Muscler son insula
Florent Meyniel, chercheur à NeurospinCEA s’est attelé à chercher une zone du cerveau dont l’activité augmente au cours de l’effort. Il est ainsi parvenu à identifier une région dénommée l’insula postérieure. Au cours d’un effort, son activité augmente. L’activité de cette insula augmente jusqu’à un seuil à partir duquel l’individu interrompt se doit d'interrompre sa course.
Cette insula postérieure serait en quelle que sorte un système d’accumulation de l’effort !
Plus intéressant, il semblerait que des facteurs motivants tels que le gain d’argent rehaussent le niveau d’activité maximal de l’insula et permettent par conséquent de repousser ses limites physiques. Le voyant rouge s’allume en quelle que sorte un peu plus tard.
Ce signal nous aiderait donc à répartir notre effort selon notre motivation et notre fatigue.
L'insula, une zone du cerveau dont l'activité augmente avec l'effort
Matt Fittzgerald, dans son livre : “How bad do you want it” compare un effort physique de plus de 30 seconde au défi d’un marcheur de feu.
Imaginez un tapis de braises chaudes avec à la fin un mur ! Ce mur représente ses limites physiques et ne peut jamais être atteint. Mais il est possible d’essayer de s’en approcher au plus près !
Simplement, sur ce tapis de braise, chaque foulée s’avère plus douloureuse que la précédente et vient un moment où le seuil de tolérance à la douleur est franchi !
Il vous faut alors bondir hors de ce sol brûlant ! Le défi n’est donc pas seulement d’accroître ses capacités physiques mais aussi de les exploiter au mieux ! De faire plus avec ce que l’on a déjà !
Dans une telle perspective, un entraînement mental prend tout son sens.
Des applications concrètes au modèle biopsychologique de Marcora
En 2001, Tim Noakes avait déjà proposé une théorie : la fameuse théorie du gouverneur central encore très en vogue actuellement.
Pour Tim Noakes, le rôle du cerveau serait de protéger l’intégrité du corps. Là aussi, les limites physiques ne seraient jamais vraiment atteintes et des facteurs psychologiques pourraient influer sur la prise de risque autorisée par le cerveau.
Le gouverneur central limiterait l’exercice physique en réduisant la commande nerveuse vers le muscle.
Bien que séduisante, cette approche présente quelques failles. Comment expliquer les blessures, voire même tout simplement les courbatures ? Pourquoi ce gouverneur central destiné à nous protéger autorise-t-il des efforts occasionnant de tels dommages? Et surtout ! Aucune structure neuro-anatomique pouvant jouer ce rôle n’a été pour le moment clairement identifiée.
Le modèle biopsychologique de Marcora s’avère un peu plus simple et constitue une autre alternative. Cette fois-ci, on s’arrêterait non pas parce que l’organisme est en danger mais parce qu’un seuil de tolérance a été franchi !
Chacun posséderait son propre seuil de tolérance et de multiples facteurs pourraient influer sur celui-ci.
C’est en travaillant sur l’impact de la fatigue mentale sur la fatigue physique que Marcora est parvenu à effectuer un coup de maître.
En imposant des jeux intellectuels à des athlètes, il est parvenu à démontrer que la fatigue mentale diminue la performance physique.
Pourtant, ces jeux intellectuels harassants n’ont pas influé sur les paramètres cardio-respiratoires de ces athlètes, tout comme d’ailleurs sur la commande nerveuse motrice. La capacité à recruter les fibres musculaires n’était pas altérée.
Seule la perception de l’effort semblait être modifiée.
Fort de son expériences passée, Pierre Ambroise Bosse sait qu'il lui faudra éviter toute sollicitation médiatique excessive afin de ne pas accumuler une fatigue mentale trop importante à l'approche des J.0
Puisque la fatigue mentale altère la perception de l’effort, pourquoi ne pas intégrer cette fatigue mentale lors d’un entrainement ?
Pourquoi ne pas, par exemple, imposer au cours d’un 10x400, la mémorisation d’un poème durant la phase de récupération ?
Complètement farfelu ? Complètement mytho ?
Ce type d’entraînement combinant entraînement physique et mental pourrait pourtant permettre de solliciter les aires cérébrales impliquées dans la régulation de la fatigue et augmenter le seuil de résistance.
D’autres chercheurs travaillent sur l’influence d’images subliminales qui pourraient influer sur la perf !
La fatigue est une émotion mais aussi la douleur.
C’est ainsi que trois psychologues de l’Université de Washington, Hunter Hoffman, David Patterson et Sam Schearer, ont eu l’idée de mettre au point un jeu virtuel baptisé le monde des neiges, dans le but de détourner les grands brûlés de leurs souffrances !
Oui! En jouant à jeter des boules de neige, en étant en immersion virtuelle dans un environnement glacé, il semblerait que ces accidentés en viennent à percevoir une douleur moins importante. Plus efficace que la morphine prétendent-ils !
Pourquoi ne pas alors extrapoler ces techniques à l'effort physique et la fatigue ?
Les pansements des grands brûlés sont changés alors qu'ils jouent à un jeu virtuel. A quand l'entraînement virtuel ?
Evidemment ! Les entraîneurs et athlètes n’ont pas attendus toutes ces découvertes pour relever au mieux ce challenge psychologique !
En 1954, Lord Bannister, pourtant physiologiste de formation, avait déjà bien conscience de l’importance d’exploiter au mieux ses capacités physiques.
Il fut ainsi le premier à passer sous la barrière mythique des 4 minutes au mile !
Ses techniques bien qu’empiriques sont toujours d’actualité !
Et vous ne trouverez d’ailleurs pas de recette toutes faites pour relever ce challenge ! Il vous est personnel ! Il implique d’enfiler un short !
Et ils ne sont pas rares ces athlètes dont le niveau est loin d’être flatteur et qui pourtant épousent pleinement ce challenge. Ils ne sont pas rares ces sportifs du dimanche qui se vident autant les tripes qu'un athlète de classe mondial !
Relever ce duel corps-esprit ne constitue-t-il pas en effet l’un des plus beaux défis ?
Autour du même thème :
La théorie du gouverneur central
La prépa mentale d'un vieux lord
Bibliographie :
How bad do you want it ? de Matt Fitzgerald
D'où vient le mental des champions ? Cerveau et psycho Février Avril 2015
Sport et Vie n°145 Juiller-Aout 2014 : "Un mental à toutes épreuves!".
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