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L'amygdale et ses alliés

D’où me vient cette systématique envie de chier, ces mains moites, cette gorge sèche, ses tremblements ?

Inutile d’identifier dans le cerveau un centre de la peur, du trac, de l’angoisse. La plupart de nos fonctions dépendent de plusieurs régions interconnectées. Plus que des zones, ce sont des connexions, des interactions, qui accomplissent une tâche cognitive.

Il est cependant possible d’affirmer qu’en cet instant, mes amygdales, sont fortement activées.

Ces deux zones profondes du cerveau, de la taille et la forme d’une amende, sont des acteurs incontournables du stress : une réaction stéréotypée, sélectionnée au cours l’évolution, destinée à mettre tout en œuvre pour optimiser, en un temps très bref, la lutte, la fuite face à un danger.

Si bref, qu’il nous arrive parfois de sursauter avant même de l’avoir clairement identifié ! Les informations sensorielles parviennent directement aux amygdales. Le cortex est court-circuité ! Des fractions de secondes qui peuvent parfois s’avérer cruciales ! S’écarter rapidement, se protéger,  freiner, sans même savoir de quoi il s’agit. Une réaction automatique, inconsciente, très rapide, qui en a sauvé plus d’un.

 

 

C’est seulement dans un deuxième temps, qu'elle prend la peine de solliciter ses multiples alliés. Etait-ce une véritable menace ? Etait-il utile de flipper ? Le cortex et l’hippocampe étroitement connectés à l’amygdale, entrent alors en action pour informer si oui ou non, il était bon de s’emballer !

A eux d’identifier clairement et consciemment la menace, la comparer à toutes les situations et contextes ayant eu par le passé un caractère dangereux.

Il n’y  a pas d’effort et d’états d’éveil optimaux sans adrénaline, sans stress, sans mobilisation des réserves.

De là à déféquer et uriner toutes les dix minutes, peiner à avaler un simple plat de pâtes, trembler de tout son corps, 4 heures avant l’effort…

Qu’ont donc stocké en mémoire ce cortex et cet hippocampe ? L’expérience, l’entraînement, a beau consister à éduquer son cerveau, le rassurer, mémoriser des intensités, automatiser des schémas corporels, il n’en reste pas moins qu’en compétition, ces intensités atteignent des états de stress, de fatigue, de douleurs, des plus intenses.  

Nul doute qu’hippocampe et cortex ont su mémoriser ses instants peu glorieux, à deux doigts de mettre le clignotant, en pleine surchauffe, les yeux hagards, emplis d’incompréhension. 

Ne sont-ils pas en train de me les rappeler ? N’est-ce pas là, la cause de la suractivation de mes amygdales ? D’autant qu’elles aussi ont pu mémoriser, de manière inconsciente, ces douloureuses expériences…

Marie-José Perec, la reine du tour de piste, résume parfaitement cette appréhension de l’effort :

«Tu es sur la ligne. Tu regardes le tour de piste, tu sais exactement où tu vas souffrir. Je crois que beaucoup d'athlètes partent lentement parce qu'inconsciemment ils redoutent la douleur. Moi, je vomissais après la course, mais aussi avant, à cause de cette appréhension de la souffrance.».

 

Dissocier les actions inconscientes exercées par l’activation des amygdales, comme la libération d’hormones, l’augmentation de la fréquence cardiaque, la fuite ou une posture agressive, du sentiment subjectif, non mesurable et conscient, de peur, d’angoisse, de trac, impliquant cette fois-ci d’autres structures tels le cortex, permet de s’interroger sur la place des émotions dans nos actions.

Elle sont bien plus souvent subies qu’initiées de notre plein gré. A tel point qu’il nous arrive parfois d’éprouver une émotion, de ressentir un sentiment, sans en comprendre parfaitement l’origine, ou du moins l’intensité.

 

 

Il est possible d’évaluer le niveau d’acidité musculaire, les réserves en glycogène, mais impossible d'évaluer, de mesurer, de manière objective, la souffrance ressentie par son adversaire.

Qui pour affirmer qu’un Voeckler grimaçant, dodelinant de la tête, courbé sur son vélo, galère véritablement plus que les autres membres de l’échappée ? Qui pour affirmer que le réflexe de retrait d’un Bernard Lhermite lui permettant de fuir un élément nocif,  n’est pas accompagné d’une souffrance psychologique ?  Souffrance psychologique d’autant plus ignoble qu’il ne disposerait pas des moyens cognitifs suffisants pour la mettre à distance, ignorant tout comme sa finitude, son caractère temporaire.

Anxiété, trac, d’avant course..Souffrance, fatigue, au cœur de l’action , au milieu du peloton..

Autant d’expériences intimes, non mesurables, que les adversaires ne peuvent que tenter de lire, deviner.

Or les sentiments ne sont que l’expression mentale de l’homéostasie.

C’est en tout cas ce qu’affirme Damasio, dans « L’ordre étrange des choses. » Homéostasie et émotions sont étroitement corrélés. 

Extrait : « Pour comprendre l’origine et la construction des sentiments et pour prendre la mesure de leur contribution à l’esprit humain, nous devons les replacer dans le contexte de l’homéostasie. Les sentiments agréables et désagréables correspondent (respectivement ) aux fourchettes hautes et basses de l’homéostasie : c’est là un fait avéré. Lorsque l’homéostasie est dans la  fourchette haute (voire optimale ), nous éprouvons du bien et même de la joie ; le bonheur que nous apportent l’amour et l’amitié renforce l’efficacité de l’homéostasie et favorise la bonne santé. Les exemples négatifs sont tout aussi manifestes. »

Qui pour m’imposer ce 10X400 à 7 heures du matin, à jeun, dans le noir,  sur cette piste en tartan ? Qui pour m’infliger ses vas et viens, concentré sur ma prise d’eau, mon « catch », ma respiration ? Qui pour m’imposer cette énième ascension, les cuisses en feu, ce panier de balle, ces gammes, ces répétitions des plus rébarbatives et épuisantes ?

 

Jouer avec son homéostasie, c’est jouer avec des émotions, des sentiments, c’est se donner l’impression, même si ce n’est peut-être qu’une illusion, d’être pour une fois maître de ses actions, d’être doté d’un esprit détaché du corps ; c’est renforcer ce sentiment d’un soi, d’une conscience, c’est peut-être se leurrer quant à la valeur de son existence, mais cette illusion fait un bien fou. Du sport, à défaut d’être artiste, pour donner de l’importance à son existence, à sa vie….

Simple nombrilisme, vulgaire branlette narcissique , balaieront certains !


15/02/2022
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