Le secret des Kenyans
Le Kénya ! C’est 26 millions d’habitants ! Mais c’est une tribu vivant à 2300 mètres d’altitude, dans la corne Est de l’Afrique, et ne constituant que 20% de la population qui s’est octroyée la majeure partie des médailles Olympique de ce Pays.
Leur nom ? Les Kalenjins ! Selon une étude statistique, être originaire de cette tribu, c’est avoir une chance 23 fois supérieure aux autres Kenyans de devenir coureur élite.
Quel est donc le secret de cette petite population qui écrase à ce point le monde de l’endurance ?
Des images qui ne surprennent plus personne
Loin des belles histoires que se plaisent à véhiculer les médias entreprenons une approche objective quitte à balayer certains clichés….
Un secret qui saute pourtant aux yeux….
D’un point de vue physiologique, il semble établi que leur supériorité n’est pas due à un meilleur VO2 max mais à une capacité plus grande à courir longtemps à un pourcentage élevé.
Ainsi Coetzen et ses confrères démontrèrent en 1993 que les coureurs kényans étaient capables de maintenir un semi-marathon à 89% de leur VO2max contre 80% pour les autres athlètes.
Si les capacités à transporter le dioxygène sont similaires, comment alors expliquer leur meilleure endurance ?
Et bien d’après Tim Noakes, grand physiologiste Sud-africain, la simple anatomie des jambes des coureurs Kenyans suffit à formuler une hypothèse explicative.
Observez leurs mollets de coqs et leurs qualités de rebond incroyables ! Ils semblent effleurer le sol, légers…
Leurs cannes de serins semblent donc dotées de qualités neuromusculaires et tendineuses exceptionnelles pour stocker et restituer l’énergie à chaque appui..En récupérant de façon optimale l’énergie élastique, ces athlètes optimisent leur économie de course.
De plus, une étude de leurs fibres musculaires a permis d’établir qu’ils possèdent plus de fibres rapides que les autres marathoniens. Mais ces fibres sont caractérisées par une résistance plus importante à la fatigue que les autres athlètes…..Ils conservent donc leurs qualités de pied plus longtemps…
Et puis en lecteur assidu de ce blog, vous n’êtes pas sans savoir à quel point avoir des segments fins constitue un avantage. Quelques centaines de grammes aux extrémités peuvent faire la différence. Les masses éloignées du centre de gravité telles que chevilles et pieds, contribuent pour beaucoup à la dépense énergétique du mouvement.
Ces caractéristiques neuro-musculaires et anatomiques, sont contrôlées par des gènes. Mais comment expliquer que seule cette tribu en soit dotées ?
Des voleurs de vaches
En 1996 Bale et Song formulèrent une hypothèse aussi séduisante que surprenante. Dans les années 1800, les hommes kenyans de cette tribu avaient pour tradition d’offrir des vaches comme dot pour pouvoir épouser une femme…
La coutume de l’époque leur imposait de voler des vaches aux propriétaires d’autres tribus, les regrouper, et de tenter de leur échapper en courant le plus vite possible !
Etre le meilleur coureur, c’était avoir le plus de vaches. Et avoir le plus de vaches, c’était avoir une dot importante et pouvoir épouser un grand nombre de femmes….
A l’opposé, les hommes de cette tribu qui s’avéraient de piètres coureurs étaient soit tués, soit condamnés au célibat !
Mike Boit, le légendaire coureur kényan qui finit troisième du 800 mètres en 1972 aux JO de Munich raconte ainsi :
« Ma tribu pratiquait beaucoup le regroupement de bétail…Ceux qui parvenaient à courir de longues distances réussissaient à ramener des vaches..les autres restaient sur le bas-côté (tués par les Massai)….C’était de la survie..il fallait être le plus endurant, le plus fort.. »
Des masaïs et leur élevage de bétail
Ainsi, dans cette population kényane, ceux qui possédaient des caractéristiques favorables à la course à pied tels que des segments fins, avec une excellente raideur musculaire et résistance à la fatigue, sont ceux qui se sont reproduits le plus, et ont transmis les gènes à l’origine de ces caractéristiques à la génération suivante… Au cours des générations, cette population s’est donc vue dotée d’individus avec des caractéristiques idéales pour la course à pied….
Cette évolution des caractéristiques génétiques d’une population au cours des générations sous l’influence d’un facteur environnemental ou comportemental, n’est autre que la définition de sélection naturelle…. Oui ! Les populations humaines, comme toutes les autres espèces, sont soumises à ces mécanismes…..
Mais outre ces facteurs d’ordre génétiques, il n’est pas impossible que d’autres facteurs contribuent à potentialiser cet avantage ….
Des facteurs psychologiques et environnementaux
Selon Tim Noakes ! C’est le cerveau qui décide l’arrêt de l’effort ! C’est lui qui en intégrant différentes informations provenant de l’organisme (température corporelle, acidité, réserves en glycogène, capacité à fournir suffisamment de dioxygène aux organes vitaux, casse musculaire) décide de maintenir le rythme adopté ou de mettre le clignotant….
Cette théorie baptisé lathéorie du gouverneur central implique une nouvelle définition de la fatigue, qui devient une émotion, évidemment dépendante de facteurs psychologiques..
Ainsi, s’entraîner ne consiste pas simplement à mettre en place des adaptations physiologiques mais aussi à éduquer son cerveau….
Et si le secret de nos petits lutins souriants, si leur plus grande endurance, résultait d’une plus grande marge laissée par leur gouverneur central. S’ils étaient capables de repousser plus loin les limites imposées par celui-ci…
Dans un tel cadre théorique, la pauvreté matérielle peut être un facteur de motivation qui contribue à accentuer cette marge. Au Kenya, cette pauvreté matérielle n’est pas importante au point de nuire à la santé et aux besoins de base (logement, nourriture, conditions sanitaires..) mais suffisante pour provoquer un fort désir de réussite…
Et puis il y a cette émulation incroyable….
Suivre le rythme imposé par un autre, c’est débrancher momentanément le gouverneur central pour calquer son effort sur le rythme imposé. On est poussé à abandonner le contrôle de l'allure pour se mettre en "pilote automatique"….Quand ces lièvres s’appellent Kimetto, Mutai, Kipsang , Makau..cela laisse songeur..
Chauchau n'aurait certainement pas lâché...si les kenyans étaient venus le provoquer sur sa ligne droite de la Flèche
Mais plus que contribuer à débrancher le gouverneur central, cette émulation contribuerait surtout à repousser leur limite inconsciente plus loin que les autres….Courir un marathon en moins de 2 heures dans un tel contexte d’émulation et de performance ne serait peut-être pas pour eux une barrière infranchissable....
Peut-être serez-vous surpris que n’ait pas été évoquée l’altitude des plateaux Kenyans dont les images font tant rêver….Mais Népal et Pérou présentent les mêmes caractéristiques et n’ont pas produit autant d’athlètes de haut niveau…
Et pour minimiser le rôle de l’altitude, d’ailleurs de plus en plus contesté, il suffirait d’évoquer le cas de Paul Roth étudiant au collège de Leveland au Texas. N’ayant jamais vraiment couru, pesant 80 kg, il décide un jour d’arrondir ses fins de mois en essayant de gagner les courses au saucisson du coin. Honteux au début, il s’entraîne même la nuit…Quatre ans plus tard, Paul Roth est un super athlète…
Peut-être serez –vous surpris que n’ait pas été évoquées les dizaines de kilomètres que sont soit disant censés parcourir les enfants kenyans pour rejoindre l’école….Pour le grand Paul Tergat, tout cela n’est qu’un mythe. : « Pour moi, l’école était à 800 mètres » précise-t-il de façon laconique….
Peut-être serez-vous déçus, vous les adeptes du « no pain no gain », que n’aient pas été évoquées les charges d’entraînement énormes que s’infligent ces athlètes..Mais de nombreux coureurs non kenyans s’imposent des séances aussi difficiles…
Peut- être serez-vous inquiets par cette approche génétique qui peut être assez facilement détournée et fait beaucoup moins rêver que les beaux sentiments et belles histoires qu’aiment à véhiculer les médias….Il leur faut façonner du héros….établir des corrélations entre qualités humaines et performances physiques…Les meilleurs doivent forcément être ceux qui travaillent le plus....Du courage ! De l'abnégation ! De l'humilité !
L' approche génétique semble au contraire bien plus froide, voire injuste. Elle témoigne pourtant de la formidable diversité humaine, moteur de notre évolution.
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Bibliographie :
Tim Noakes, Lore of running
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